Le Palais des Nations à Genève, siège européen de l'ONU
Une monument de Paix - son histoire
Le Palais des Nations doit sa présence à Genève au président américain Woodrow Wilson, qui s’est opposé avec force à Bruxelles en tant que siège de la Société des Nations. Elle doit son emplacement sur la rive droite au premier secrétaire général de la Ligue, l’Anglais Sir Eric Drummond, qui a insisté sur « la vue du Mont-Blanc ». Elle doit sa situation sur la colline de l’Ariana au baron du pétrole américain John D. Rockefeller, qui a fait don à la Ligue d’une bibliothèque trop grande pour le terrain au bord du lac initialement mis de côté, qui n’a pu être prolongée en raison du refus de l’Écossaise Alexandrina Barton de vendre sa propriété voisine.
Le Palais doit sa dimension utopique au XXe siècle, ou « américain » : il devait être un « palais » dédié à la coopération entre nations, libre des hiérarchies impérialistes violentes et impérialistes du siècle précédent. Elle doit sa foi dans l’intemporalité de sa mission au début du XXIe siècle, qui est en train de l’agrandir et de la rénover. Survivant à la fois de l' »échec de Genève » – comme l’incapacité de la Ligue à éviter la guerre en 1939 – et des vicissitudes ultérieures de l’ONU, elle est aujourd’hui un monument à la paix. Une cause suffisante pour une inscription sur la Liste du patrimoine mondial, semble-t-il.
De plus, le bâtiment lui-même reflète les bouleversements qui ont secoué le monde de l’architecture entre le moment de sa conception et le présent.
Le chapitre précédent décrit le concours international de 1927, qui opposait les idées avant-gardistes de Le Corbusier et Hannes Meyer à une conception plus traditionnelle et académique d’un « palais du monde ». Comme le jury n’a pas été en mesure de choisir un gagnant parmi les 377 candidatures, la Ligue a choisi cinq diplomates – le « Comité des Cinq » – pour choisir celui qu’ils jugent le plus approprié parmi les neuf premiers prix. Fin décembre 1927, le comité choisit l’architecte français Henri-Paul Nénot (1853-1934) et son associé genevois, Julien Flegenheimer (1880-1938). La proposition des deux partenaires étant encore loin d’être parfaite, le Comité des Cinq leur a demandé d’élaborer de nouveaux plans en collaboration avec trois autres architectes reconnus par le concours : l’Italien Carlo Broggi (1881-1968), le Français Camille Lefèvre (1876-1946) et le Hongrois Joseph Vago (1877-1947). Le palais compte donc cinq auteurs, qui ont été dirigés par Nénot jusqu’à sa mort, puis par Broggi.
Les architectes ont été invités à la fois à représenter une idée – la paix – et à fournir un environnement de travail fonctionnel pour la nouvelle institution internationale. Ils devaient à la fois créer un monument et aménager un immeuble de bureaux. Dans son mémoire, Le Corbusier a rejeté la demande de monument : « Ce palais était pour le travail et l’écoute. Nous avons construit un grand immeuble de bureaux et inventé une nouvelle forme architecturale : une salle d’écoute »(1) Mais un monument était ce que la Ligue avait demandé ; elle souhaitait incarner « la gloire paisible du XXe siècle »(2) Les cinq architectes oints partageaient ce parti pris.
Ils n’ont cependant pas été consultés sur la décision politique de la Ligue d’échanger le terrain de 6,6 hectares à Sécheron, acheté en 1926-27 pour 2,7 millions de francs, pour le parc Ariana de 25 hectares, sans frais supplémentaires. Le nouveau terrain pourrait accueillir confortablement la bibliothèque Rockefeller. Gustave Revillod avait fait don de sa propriété à la ville en 1890 à la condition que rien ne soit jamais construit dessus et qu’aucun arbre ne soit abattu. La ville a accepté de déroger à cette clause et de mettre le terrain à la disposition de la Ligue, à condition que les descendants de Revillod soient d’accord. Ils s’y sont tous conformés, à l’exception d’une petite-nièce, Hélène de Mandrot. Passionnée d’architecture, elle n’a donné son accord que si Le Corbusier et les quatre autres lauréats du premier prix étaient autorisés à participer au projet final. Le Corbusier et l’architecte allemand Erich zu Putlitz ont dûment envoyé quelques croquis, mais en vain : aucune de leurs idées n’a trouvé un écho favorable auprès du comité de diplomates. Helène de Mandrot s’est néanmoins relâchée.
On a demandé aux architectes choisis de réviser leurs plans pour qu’ils s’adaptent au nouveau site de la Ligue. Ils ont proposé une structure néoclassique à l’échelle monumentale : un bâtiment central flanqué de deux ailes en forme de fer à cheval avec des façades géométriques sévères et dépourvues d’éléments décoratifs. La structure en béton armé serait recouverte de pierre blanche de la vallée du Rhône et de travertin italien.